Voir la version PDF de la motion

L’Association française de linguistique appliquée (AFLA), réunie le 6 février 2020 en assemblée générale, s’inquiète des premières orientations de la loi pluriannuelle de programmation de la recherche (LPPR) telles qu’elles ont été esquissées par le président de la République le 26 novembre dernier et telles qu’elles apparaissent dans les trois rapports des groupes de travail (financement de la recherche, attractivité des emplois et des carrières scientifiques, recherche partenariale et innovation). Celles-ci ne lui paraissent pas de nature à répondre aux principales difficultés et fragilités de la recherche publique française, ni à permettre aux personnels scientifiques de haut niveau exerçant en France — chercheur·e·s, enseignant·e·s-chercheur·e·s, ingénieur·e·s et technicien·ne·s — d’exercer convenablement leur profession et d’exprimer pleinement leurs talents au bénéfice de la Nation. Depuis son émergence dans les années 1960, le champ de la linguistique appliquée s’intéresse aux rapports conjoints entre science et société en démontrant la nécessité d’appuyer des décisions politiques sur un processus empirique et ascendant permettant de prendre les décisions les plus adaptées à un contexte et respectueuses des individus engagés et situés. Les résultats issus de la recherche scientifique doivent être le socle de ces prises de décision et les contours de cette réforme aspirent à imposer un modèle de recherche aux dépens de six décennies de travaux en linguistique appliquée en France et dans le monde (Applied Linguistics).

Les membres de l’AFLA sont en particulier opposés aux points suivants puisqu’ils remettent profondément en question la nature des métiers de la recherche : la transformation des statuts des personnels remplissant des missions d’enseignement et de recherche dans les universités et la refonte globale du décret de 1984 relatif au statut des enseignants-chercheurs avec une remise en cause de la répartition et de la durée du temps de travail des enseignant·e·s-chercheur·e·s (enseignement, recherche) mettant directement en péril leur implication dans le tissu associatif ; une amplification de la contractualisation des personnels en appui à la recherche et des futurs enseignant·e·s (tenure tracks, CDD de projets, enseignant·e·s contractuels, etc.) tout en reconnaissant la nécessité d’en finir avec le contrat de vacation tel qu’il est pratiqué actuellement ; une remise en cause de la dimension nationale des conditions de recrutement, du statut des enseignant·e·s-chercheur·e·s et de la collégialité de l’évaluation des carrières par les pairs ; l’organisation d’une réforme budgétaire alors même que la performance des dispositifs d’incitations à la recherche partenariale et à l’innovation est reconnue par la cour des comptes comme très insuffisante (CIR en particulier).

Si l’Association française de linguistique appliquée ne peut être qu’en faveur d’une démarche de reconnaissance de toutes les formes de valorisation de la recherche, elle souhaite néanmoins être vigilante sur le fait de ne pas marginaliser la recherche fondamentale indispensable à toute recherche appliquée, sur les dangers d’une recherche fléchée ne permettant pas la possibilité d’explorer des terrains plus marginalisés/peu financés ou encore sur la nécessité de reconnaître, dans les orientations de valorisation, le rôle indispensable des recherches en sciences humaines et sociales. En effet, la valorisation ne peut se contenter d’une vision marchande de biens produits en recherche et développement comme c’est déjà largement le cas dans les Instituts de recherche technologique (IRT), les Sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) ou encore les Consortium de valorisation thématique (CVT). Les recherches appliquées visent avant tout un potentiel de transformation au sein de la société par des projets qui fusionnent les intérêts de la recherche et ceux de la société tout en leur reconnaissant une temporalité et des objectifs à long terme parfois différents. Ce potentiel de transformation touche les questions d’enseignement/apprentissage des langues, la reconnaissance des langues minoritaires (langue des signes, etc.), la lutte contre les discriminations (par ex. le genre) ou les formes de marginalisation ainsi que la promotion de pratiques permettant des dispositifs plus inclusifs tant dans le monde professionnel qu’éducatif et, plus largement, la formation tout au long de la vie.

Ainsi, l’AFLA demande un moratoire, pouvant prendre la forme d’assises, permettant un travail collectif, collaboratif et représentatif des personnes de l’enseignement supérieur et de la recherche afin de définir des orientations qui permettront d’améliorer les conditions de recherche en France tout en favorisant leur adhésion sur le terrain. L’association souhaite participer activement à ce processus en apportant son expertise dans le domaine des sciences situées.

Pour information, quelques liens utiles si vous souhaitez vous renseigner sur la LPPR : 

Motion adoptée par vote électronique des membres à jour de leur cotisation.

Fait le 13/02/2020 à Paris,

Grégory Miras, Président de l’AFLA